
"Entre le fleuve Amour, la frontière coréenne, l'océan Pacifique et la Mandchourie se trouve la région oussourienne. Elle est traversée par l'Oussouri et ses affluents, la Songacha et le Daobi Ho, et divisée en deux parties par les montagnes de Sikhota-Alin. C'est une étrange contrée, où se rencontrent du Nord au Sud des pins, des sapins, des cèdres et des bouleaux arctiques poussent à côté de noyers, de tilleuls et de chênes liéges, de palmiers dimorphes et de vignes. Le renne, l'ours brun, la zibeline vivent dans la même forêt que le tigre, le boa constricteur et le loup. Sur les eaux des lacs, sur les marécages autour du lac Khanka, l'oie, le cygne et le canard du Nord se mêlent au cygne noir d'Australie, au flamant des Indes, au héron de Chine et au canard mandarin. Est-on en face d'une énigme ou d'une facétie de la nature ?"
L'explorateur Ferdinand Ossendoswski en 1920, décrivait ainsi l'Extrême-Orient Russe alors que le soviétiques partaient à la conquête des régions les plus reculées de l'empire des Tsars.
Nous sommes près de la ville de Kabarosvk au mois de mars. Le soleil chauffe comme au printemps mais la Taïga est recouverte d'une couche épaisse de neige. Entre le chemin de fer et les monts Sikhote-alin se trouve les vestiges d'une ancienne civilisation. Le peuple du Royaume des Ermites d'origine coréenne était autrefois courageux et puissant; mais leurs voisins les japonais et les chinois étaient plus belliqueux et plus entreprenants. A certains endroits on peut encore y voir d'immenses tortues de granit de deux mètres de hauteur, portant des images sculptées d'oiseaux, de fleurs et autres ornements. Jadis il y avait des routes pavées et qui franchissaient les rivières dont on retrouve quelques pierres sur le Daobi Ho.
Viktor Jivotchenko est biologiste de formation. Il est venu dans la région au début des années soixante dix dans la réserve de Lazov pour étudier "{les principes scientifiques pour le maintien du tigre sur un territoire protégé}" il est devenu le meilleur spécialiste des tigres de l'Amour mondialement reconnu par la communauté scientifique internationale. Lorsque que nous le rencontrons il se prepare a quitter son bivouac dans une hutte en bois de la forêt. Il fait très sombre. Son visage est éclairé par un rayon de soleil qui filtre par une minuscule ouverture. Le visage barbu, le cheveux blond slave blanchissant, il tourne silencieusement la tête, puis avec un léger décalage les yeux bleu gris qui suivent, il a le regard du tigre, le regard d'un homme qui parcourt depuis 25 ans la Taïga à la recherche du grand félin.
Viktor part à pied pendant des semaines pour étudier la vie sauvage armé d'un gros pistolet automatique de l'armée russe. La nuit il s'abrite dans des huttes de bois en pointe appelées Fangtzus que les chercheurs de ginseng chinois ont construites et entretenues au cours de siècles dans la forêt. Il est probablement le seul homme au monde à avoir pu photographier à plusieurs reprises les tigres dans la nature. La plupart des photos existantes que ce soit en Inde ou en Sibérie ont été faîtes dans des volières sur fond de nature. Cela se voit sur les photos de Viktor car capturé le tigre est toujours en alerte avec les oreilles tendues.
"Un jour je sortais de la Taïga après avoir finit mes travaux en fin d'après midi. J'avais encore nuit à passer dans une cabane près de la source de Lesossetch et une journée de marche jusqu'au village de Benevsk. Mes vivres était épuisées et j'étais délesté de ma charge. A la fin de l'hiver les animaux sauvages empruntent volontiers les mêmes routes que les hommes pour ne pas avoir à marcher dans la neige profonde. Je marchais sur le sentier qui traverse en biais la rivière Benevka. Je m'apprêtais a descendre sur la glace de la rivière gelée lorsque je vis un tigre sur l'autre rive emprunter le chemin. Me cachant derrière un tronc de chère je pris mon Pentagon 6 TL avec un objectif Zonnar de 300 mm.
A 15 ou 20 mètres le tigre arrivait sans se presser comme abattu. Ses oreilles étaient plaquées en arrière. Après avoir appuyé sur le déclencheur je ne vis plus rien dans le viseur. Puis apparu de nouveau une image, mais brusquement tout avait changé. D'après la position des pattes l'animal n'avait pas bougé mais il s'était complètement métamorphosé. Ses oreilles s'étaient redressées et se dirigeaient vers la source de bruit. J'appuyais une deuxième fois le déclencheur en gardant l'oeil dans le viseur. Cette fois le tigre était sorti du cadre.
En lâchant mon appareil je vis qu'il avait déjà quitté la glace et qu'il était déjà sur ma rive à 7 ou 10 mètres de moi. Le tigre était couché, comme plaqué sur la terre et seule sa queue battait nerveusement le sol. Je sortis mon pistolet TT de son étui et fis claquer la culasse. Ce n'est qu'après ces manipulation que l'animal, qui ne réagit qu'au son, comprit qu'il avait un homme devant lui. Je remarquais alors que ses yeux regardaient de tous cotés. D'instinct je compris que l'animal préférait s'enfuir et reprenais mon appareil photo. L'animal le dos rond partait sur le coté les pattes à moitié repliées. J'appuyait une troisième fois sur le déclencheur mais déjà il était loin, disparu dans les broussailles épaisses et dans la brume."
Tigre de l'Amour ! un beau nom pour le plus grand carnassier de la création. Beaucoup plus gros que son cousin des Indes, il est aussi dans ces régions l'esprit de la Taïga. Un animal dont le pelage en hiver devient beaucoup plus clair mais qui est souvent confondu avec les rares spécimens albinos de la race. En dehors de la Russie il est aussi appelé tigre de Sibérie car il a la particularité de pouvoir subsister dans les conditions difficiles. En fait le tigre ne séjourne jamais en permanence en Sibérie. Son territoire s'étend du nord au sud sur 1000 Km et d'est en ouest sur 700 Km vers la frontière de la Chine et de la Corée du Nord. C'est l'extrémité la plus septentrionale de sa zone d'habitation. L'hiver la température descend à -20° C avec des pointes à -40°C. Les chutes de neige sont abondantes ce qui permet aux zoologistes de les pister, lisant comme dans un livre l'histoire de la vie de l'animal pendant de nombreux jours.
Depuis les premiers temps de la pénétration des territoires de l'Extrême-Orient de l'empire des tsars les tigres ont été chassés car ils faisait peur au colons que le gouvernement encourageait à venir s'installer. Après avoir presque complètement disparus dans les années trente avec un abattage systématique à la mitrailleuse ordonné et même filmé par l'armée soviétique les tigres de l'Amour sont protégés depuis par le Livre Rouge des Animaux Rares. Ils vivent en liberté dans les réserves de Sikhote-Alin et d'Oussouri. Dans les années 90 quelques 300 spécimens sont recensés. Une population à la limite de la saturation écologique car ces animaux ont un territoire de chasse qui peut s'étendre sur 200 Km. Non seulement le nombre des animaux a changé mais aussi leur comportement. Le sanglier, qui était la proie de prédilection du tigre s'est raréfiée avec l'abattage de grandes zones forestières qui foisonnaient de noix de cèdres et de glands dont ils se nourrissent. Le tigre s'est rabattu sur le renne tacheté et le chevreuil qui eux sont attirés par les surfaces brûlées des zones d'abattage. Le tigre a perdu sa crainte de l'homme. Il s'aventure maintenant partout et rode près des habitations pour chasser les chiens.
Un jour Viktor est appelé pour retrouver un tigre qu'un camionneur avait vu emporter un homme dans sa gueule comme peut le faire un chat d'une souris. La police s'était rendu sur place mais il faisait déjà nuit. Tout ce qu'ils purent faire fut de lâcher quelques rafales de fusil mitrailleur dans la forêt.
"Le lendemain matin très tôt je partis avec des collaborateurs de la réserve et de l'exploitation forestière. Nous trouvons sans difficulté le corps près de l'endroit ou l'homme avait été tué. Il avait deux blessures sur le corps dont chacune était mortelle.La partie occipitale du crâne avait été fracassée par un puissant coup de patte sur la tête et les vertèbres cervicales avaient été cassées par les dents. L'animal avait retiré du corps une partie des vêtements et se préparait a manger le cadavre. Le corps était a peine entamé et visiblement l'animal avait été gêné par le bruit fait par la police quand celle ci avait ouvert le feu."
A trois mètres du tracteur que l'homme conduisait se trouvait le gîte d'où l'animal s'était élancé. Le corps du tigre avait laissé des empreintes très nettes dans la neige. Il avait du attendre des heures tapi en attendant que sa proie sorte des jeunes trembles qui l'empêchaient de bondir. Je trouvais du coté du chemin de halage plusieurs autres traces. Celle laissé par le corps de l'homme que transportait le tigre et celle d'un jeune tigre d'un an environ. Sur la partie antérieure du gîte on pouvait voir des traces de sang. On avait l'impression que le jeune tigre avait suivit le long du chemin sa mère qui emportait le corps et en avait prit un morceau, une main, pour aller dans son gîte la manger tranquillement.