Engourdi par des heures d’inaction dans le car à air conditionné de la Transamericana, Je laisse mon imagination s’accrocher aux formes que je distingue dans la nuit tropicale. Mon esprit est cotonneux et s’agite mollement sur des souvenirs, des rêves et des formules. Par la fenêtre arrondie du car des nappes de brouillard filandreuses décorent les fougères géantes qui bordent la route.æ Déjà le car monte à travers les montagnes du Panama et ce n’est plus le sol aride du nord du Costa Rica. La nuit est claire, les fumerolles laiteuses et la végétation luxuriante des volcans tropicaux confère a ses yeux hypnotisés du mystère à cette forêt d’aventure que je distingue et invente à la fois. Au Costa Rica j’ai pu faire du surf sur les deux océans. Pour l’heure je vais voir plus loin au Panama et j’hallucine des vagues sur les arbres mous de la route des volcans. J’ai fumé mon dernier joint de Michoacán a l’économie, par petites bouffées, dans les toilettes à l’arrière du car de fabrication US. Le voyage en car dure vingt trois heures et mieux vaut planer.

La veille j’ai quitté le Costa Rica où j’au passé un mois à surfer sur deux océans qui ne sont éloignés que de 90 km. Les vagues du Pacifique jettent beaucoup d’eau et sont plus rapides que celles de l’Atlantique haut lieu du tourisme de la middle-class texane. Il y avait tellement de vols à partir de Houston que le billet d’avion ne coûtait que cent dollars. Pendant les heures qui précèdent la tombé de la nuit, je vois le paysage changer des terres arides et plates aux montagnes tropicales qui s’étendent sur des centaines de kilomètres avant d’atteindre la zone du canal. Des volcans enfumés émergent d’une jungle suintante plus inquiétante à mesure que l’obscurité se fait. Mon imagination se coule dans les reliefs du paysage comme dans une lampe psychédélique. À l’aube le bus arrive à la zone du canal. À la douane, il faut présenter cent cinquante dollars pour avoir le droit de passer. je n’en ai pas plus de quarante. Dans la file d’attente devant les bureaux vétustes de la douane des rouleaux de billets de banque changent de main. Pour un dollar je loue un rouleau de petites coupures crasseuses et je gagne le droit de pénétrer dans le sanctuaire de l’Amérique centrale. La zone du canal est faite de petites constructions hispano-américaines des banlieue tropicale avec des entrepôts en béton ou en tôle ondulée qui font très bidonville. Je prend un bus local enguirlandé d’icônes et de jouets en plastique qui emmène les travailleurs vers Rainbow City sur la cote atlantique. Il fait encore sombre quand le bus arrive au terminus sur un quai désert sillonné de rails et bordé de baraques en bois. Je suis le seul passager à en descendre. A cet endroit il n’y a ni bateaux ni grues. Le port de Panama ne paye pas de mine.

A mesure que le soleil révèle les couleurs fanés des baraques on peut lire sur des enseignes peintes les noms de compagnies maritimes du monde entier. Au loin dans l’estuaire gigantesque les formes des grands cargos marquent l’horizon et sur cette jetée silencieuse j’ai l’impression d’être arrivé à l’extrême bout de quelque chose. Deux jeunes noirs très foncés somme le sont les Carïbes sont assis sur le parapet de la jeté. Je vais m »assoir près d’eux et leur demande s’ils savent où trouver de l’herbe. Je donne deux dollars au plus grand et le gosse par en courant alors que je lui lance « con papel » en faisant avec les doigts le geste de rouler. L’herbe du coin, la fameuse Panama Red est une priorité touristique et l’idée que le gamin mefasse faux bond ne m’effleure pas. Il revient d’ailleurs assez vite avec une papillote de papier brun. « tienes papel? » Le garçon déchire une partie de la papillote et s’en sert habilement pour rouler le joint tout en refermant le paquet. Il reste de quoi faire plusieurs toqués. Le papier brun de mauvaise qualité est si poreux qu’il se consume comme du papier à cigarette sans même de mauvais goût. L’herbe doit être très forte car le buzz ne vient pas tout de suite. Le retard de l’effet est caractéristique. Chez les surfeurs, on est connaisseur en herbe. Cela fait partie de la culture de ce sport au même titre que le régime végétarien et la bière. Avec les deux jeunes caribes avec qui j’ai partagé le pétard on reste longtemps paralysé à fixer le large. Comme chaque fois je perds la notion du temps et il est toujours impossible de se rappeler le moment ou l’effet psychédélique de l’herbe à commencé. Le soleil est maintenant très chaud et les jeunes noirs et discutent en riant de la destination des bateaux qu’ils montrent du doigt au loin. »Celui là il va Nuevo York. » Dit le plus grand. « Ils paraît que là-bas les femmes raffolent des hommes très bronzés. Si si je te jure! C’est pour cela que les touristes sont sur la plage pour être plus foncés. » Le petit qui n’a pas dix ans examine son corps noir en se tordant de rire et dit avec candeur: « Soy bien bien negrillon ! rico, rico por las mujères. »

Quelques jours plus tard j’embarquais sur un bateau Italien de retour de Santiago du Chili qui après avoir traversé le canal du se dirige vers Genova en Italie avec escale à cannes. La traversée doit durer dix-neuf jours. A bord des nombreux passagers chiliens qui fuient la dictature de Pinochet. Mon compagnon de cabine est est Pepino de Luigi un Suisse italien qui parle bien français. Le navire ‘est un petit paquebot de croisière qui s’arrête à Caracas, puis Carthage et dès que je met les pieds en Colombie je suis arrêté par la police spéciale pour les touristes qui me fouille avec soin. Heureusement que je n’ai pas eu le temps d’acheter le joint que je cherchais et que je trouverai plus tard à Curacao qui est une ile gérée par la Hollande. Mazette j’en aurai besoin pour dix neuf jours de traversé.