Bruna, Marcouine Touge, née Bragato le 21 août 1917 à Noventa di Piave, en Italie, fut l’une de ces âmes que la vie façonne sans jamais entamer leur lumière. Elle avait huit ans à peine lorsque sa famille traversa les Alpes pour s’installer en France, emportant avec elle la douceur du Veneto et cette devise que sa mère lui répétait les jours d’orage : « Siempré avanti » — il n’y a qu’à avancer.
C’est dans les champs d’herbes hautes, un été vibrant de jeunesse et d’insouciance, qu’elle aperçut pour la première fois René Touge. Elle jouait avec ses sœurs, riant et faisant des cabrioles dans les foins, lorsque ce jeune instituteur de Saint-Clar passa à bicyclette. Le destin, alors, esquissa son premier trait. Mais la vie, capricieuse, les éloigna un temps. René poursuivait ses études, déjà tourné vers une carrière diplomatique. Ce n’est qu’après la guerre, dans les cendres encore tièdes d’un monde meurtri, qu’ils purent enfin se retrouver. Elle épousa alors, sans la moindre hésitation, l’amour de ses jeunes années — un amour qu’elle chérit toute sa vie avec une fidélité et une tendresse infinies.
Élevée à la campagne, Bruna n’en avait pas moins une curiosité vive et un goût raffiné pour les arts et les lettres. Elle s’était forgé, seule, une culture remarquable, s’émerveillant aussi bien d’un air d’opéra que d’un tableau ancien. Elle accompagna dignement son époux dans les cercles les plus raffinés de son temps, avec une grâce naturelle et une intelligence silencieuse qui imposaient le respect.
Mais au-delà de cette élégance, c’est sa force morale qui frappait. Son mari disait souvent d’elle qu’elle était un roc — et il ne croyait pas si bien dire. C’est sur elle que reposait, dans les instants les plus critiques, la cohésion de la famille. Jamais une colère, jamais un mot plus haut que l’autre. Bruna voyait en chacun le meilleur, et pardonnait le reste. Son amour n’était pas une passion qui exige, mais une paix qui accueille. Elle inspirait confiance, donnait courage, incarnait la patience et l’espérance même dans les pires tempêtes.
Elle avait une image qu’elle aimait partager : celle d’une bourrasque déchaînée, brisant tout sur son passage, et pourtant — toujours, toujours — une brindille verte, une petite fleur, finissait par repousser. Elle croyait en ce miracle de la vie, en cette obstination du vivant à renaître.
Avec René, elle eut trois enfants : Michèle, Pierre et Philippe. Elle les éleva avec une tendresse infinie, une patience hors du commun, et une générosité qui ne comptait jamais. Mère attentive, épouse dévouée, elle était aussi une femme aux mille talents : maîtresse de maison accomplie, cuisinière hors pair, et — chose rare — bricoleuse ingénieuse, qui maniait tournevis et marteaux bien mieux que son mari trop cérébral pour les tâches concrètes.
La vie de Bruna fut longue et riche, émaillée d’épreuves, mais surtout tissée d’amour et de dignité. Elle s’éteignit à l’âge vénérable de 97 ans, entourée des siens, dans la paix d’une affection profonde et unanime. Jusqu’au bout, malgré les douleurs, elle conserva son humour et cette joie intérieure qui ne l’avaient jamais quittée. Un mois à peine avant de partir, elle riait encore, partageant une conversation légère avec ses enfants — comme pour leur montrer que même face à l’ultime silence, la lumière d’un cœur aimant peut continuer de briller.Merci, Maman