Dans une ville comme Los Angeles ou tout le monde vit dans une histoire plus ou moins réelle on développe facilement l’attitude de l’écrivain. Il ne s’agit même plus d’écrire une histoire mais de la vivre en spectateur. Un soir que j’avais trainé ma solitude dans un bar de Venice à la recherche d’une fille esseulée que je n’ai pas trouvée, je sorti vers deux heures du matin assez saoul et désabusé. J’avais à l’époque un petit camion Ford bleu métallisé aménagé de moquette et de vinyle comme le sont les L.A vans. Je m’apprêtais à démarrer pour rentrer chez moi à Rustic Canyon quand un grand jeune homme blond frappe à ma portière et avec une large sourire me demande si je peux le déposer un peux plus loin.
Je ne l’avais pas vu tout de suite mais ils étaient deux et l’autre avait un visage buriné de brute aux cheveux longs et sales. Toujours en souriant le premier insistait que c’était juste pour aller au bout de la rue et je leur dit de monter. Il n’y avait pas de siège à l’arrière de mon van et la brute est accroupi à coté de moi entre les deux sièges. Très vite il me donne des ordres pour nous diriger dans des petites rues de Venice qu’à ce qu’il me dise « arrête toi là, éteint tes lumières et retire ton pied de la pédale du frein ». Nous sommes garé le long du mur d’une petite maison à appartements et je commence à être vaguement inquiet quand le blond monte sur mon van et rentre par la fenêtre du premier étage. La brute reste à coté de moi sans rien dire et deux ou trois minutes plus tard le blond apparait avec deux bouteilles dans les mains et remonte à la hâte dans mon véhicule « ils étaient là? Qu’est ce qu’ils ont dit? » demande la brute « rien, aller fonce les flics vont arriver ».
Je comprends que je me suis mis dans un drôle de pétrin et je dessaoule d’un coup tout en m’exécutant. Je tente un « vous venez de tirer des bouteilles chez vos parents? » ils ricanent à la blague et continue à me donner des directives. Revenu sur la grand rue je leur demande fermement de descendre. « et si on veut pas? » me dit la brute « alors ce sera une sacré bataille » Je ne sais pourquoi ce soir là je porte alors des Ray-Ban aviateur sans tain et un blouson de cuir qui dans le pénombre me donne un air plus dur que je ne suis. « je ne crois pas que ce soit une bonne idée » dis-je avec un calme qui m’étonne moi même. Je suis sur qu’il est armé et crois que je le suis aussi. On conduit dans la nuit et très vite on se retrouve dans ces grandes avenues sans piétons caractéristiques de Los Angeles. Mes passagers boivent les bouteilles de Bourbon qu’ils ont volé et parlent de leur soirée. « t’a vu comment on lui a cassé la tête au hippy » et de sortir un paquet qui contient au moins une livre de cannabis. Dans ma tête les idées s’entrechoquent. Je ne suis plus du tout saoul et je pense que de même si je parviens à alerter un flic en ayant un accident par exemple j’aurais du mal à expliquer que je n’est riens à voir avec la dope, le casse et les bouteilles d’alcool ouvertes. De plus aucune voiture de police à l’horizon. Les deux se disputent sur à qui revient la dope et la brute passe à l’arrière. Debout derrière le blond il l’attrape par les cheveux et commence à l’étrangler « c’est qui qui commande? tu comprends maintenant? » Le blond se tord de douleur puis se calme et fait mine de soumission et tous les deux continuent de boire et de fumer des joints qu’il me font passer.
Le blond veut aller à North Hollywood pour chercher des putes qu’il compte faire monter dans le van « et si elles veulent pas on leur coupera les bras ». J’ai affaire à des tarés et je cherche toujours une solution. On passe devant un centre commercial et je bifurque sans demander en disant que j’ai besoin de cigarettes. La brute m’accompagne dans le magasin alors que le blond reste dans le van. Le parking est désert et nous repartons sur Hollywood Freeway. Cela fait maintenant plus de deux heures que nous conduisons dans la nuit et les habitations ont laissé place à des terrains vagues ou des usines endormies. L’alcool et l’herbe aidant mes passagers sont de moins en moins éveillés et ne voient pas que j’ai pris une bretelle d’autoroute espérant revenir vers une partie habité de la ville. Je dis qu’on a besoin d’essence et je m’arrête à une station service avec l’espoir de pouvoir alerter quelqu’un. Derrière une vitre blindé le pompiste pakistanais prend mon argent sans un mot. Impossible de lui parler. Je commence à réfléchir à l’éventualité d’avoir à défendre ma peau physiquement. Sous mon siège il y a une caisse à outil avec un gros marteau dont un des coté est en forme de pic. J’image le geste qu’il me faudra faire pour l’enfoncer dans le crane de la brute en espérant que cela effraie l’autre. Mais comment expliquer ça au flics?
«Il est temps de lui donner trois cigarettes » dit le blond qui maintenant est à l’arrière du van alors que la brute à l’air de s’endormir à l’avant. « tu sait quel est son nom? Son nom est la mort » répète t’il alors que la brute grogne qu’il s’en fout. Il doit être quatre heures du matin et la nuit est noire. Le blond demande de s’arrêter pour pisser. Je me répare au pire et touche discrètement ma caisse à outil. Ce n’est pas évident mais je me m’accroche à cette idée. Le blond descend et s’éloigne un peu pour faire ses besoins sur le bas coté de l’autoroute. Quand il revient il nous regarde avec suspicion. Nous repartons et je dis à la brute « il avait pas dit qu’il descendait ? » nouveau grognement de sa part et tout d’un coup le blond se met à hurler « j’ai compris ! arrête immédiatement ou je met le levier en reverse ». Il ouvre la porte coulissante de l’arrière du van et saute pratiquement en marche. Nous sommes à ce moment au milieu de nulle part à des kilomètres de toute civilisation. Je me tourne vers la brute à moitié endormie dans un geste de connivence et je démarre laissant le blond à sa parano. L’aube commence à poindre lorsque je le dépose quelque part sur le chemin du retour vers Santa Monica ou j’habite. J’ai gardé mes Ray-Ban et je lui fait un signe de la tête lorsqu’il descend du van en disant « accroche toi Snoopy ».