Il avait un Dory de haute mer en remorque derrière son pick-up. Il allait en Oregon pour la saison des saumons et il avait besoin d’un puller. J’avais sauté sur l’occasion de me faire un peu d’argent. Nous allions suivre les bancs de saumons qui après avoir retrouvé la mer près de la frontière de Californie remontent le long des cotes de l’Oregon jusqu’à l’Alaska. Les pêcheurs de Doris sont des espèces de cow-boys de la mer. Avec leurs barques en bois de cinq mètres pourvue d’une étrave capable d’affronter la houle du large ils vont cinquante kilomètres en mer rejoindre pour la journée les flotte des gros trawlers. En cas d’avis de tempête ils ne peuvent compter sur la vitesse que leur procure leur gros moteur hors-bord pour rentrer au port plus vite que le mauvais temps. Steve mon skipper était un barbu ténébreux fils d’un marin mort en mer, mais en général les pêcheurs de Doris ne sont pas des professionnels. Il y en vient de tous les horizons. Des petits fermiers qui font l’appoint d’une saison maigre, des soldats démobilisés ou des retraités des postes. Avec Steve j’avais appris la mer à la dure. On partait en pleine nuit pour que les lignes soient dans l’eau au levé du jour. Toute la journée on pataugeait dans le sang de saumon et la glace fondue qui mélangé aux odeurs d’essence dégageait une odeur écœurante. Je ne m’arrêtais de vomir qu’au retour au port.
Chaque égratignure était infectée par les toxines du sang de saumon et très vite mes mains avient doublé de volume. Avec un treuil manuel je faisait descendre et remonter le plus vite possible quatre lignes d’acier lestés de cinquante livres de plomb et qui s’alourdissaient encore avec le poids des poissons. Steve traçait sa route sur une carte des fonds marins en suivant les indications d’un sonar de pêche. Il fallait pêcher le plus près du fond sans accrocher les lignes où tout le matériel serait perdu car si on ne coupait pas les cables assez vite le bateau se retournerait. Avec une eau à sept degrés les chances de survit étaient très minces. Je touchais dix pour cent de la pêche et un bon jour, avec deux cents poissons ma part pouvait atteindre cent dollars. Sur les chantiers de construction ou je bossais de temps en temps je n’avais jamais fait plus de trois dollars de l’heure. A la tombé de la nuit on rentrait au port pour la pesée à la poissonnerie Andelsen. Le vieux norvégien nous remettait lui même des bons d’achat qu’on pouvait garder ou utiliser comme de l’argent dans les magasins du port. Un dollar vingt-cinq la livre pour les Silvers et un cinquante pour les Kings. Un jour l’unique compas de bord se décrocha de sa nacelle et se cassa dans le bateau en répandant son huile. C’était un jour gris où la visibilité était mauvaise et nous n’avions pas revu la côte depuis le levé du jour. Je pris peur. Je demandais à Steve s’il serait pas mieux de rentrer.
“On continu à pêcher. Dit Steve sans me regarder”“On pourrait appeler John sur la CB.” John c’était le running partner, Un autre pêcheur de Doris avec qui Steve avait convenu de pêcher dans la même zone.“Pour avoir l’air de cons et perdre la pêche? On continu de pêcher!” La panique m’envahie alors et je refusais de continuer“On ne discute pas avec le skipper”
Steve pointait sur moi un colt à barillet de calibre 22 magnum dont il se servait pour tuer les saumons les plus gros avant de les sortir de l’eau. Les gros kings sont parfois combatifs et en essayant de les gaffer on prendrait le risque de les abîmer. Ce jour-là nous avons continué de pêcher jusqu’à la tombé du jour. Pour rentrer Steve a sorti une minuscule radio à transistor avec laquelle il s’orienta dans la brume en évitant. Debout sur le mas qui retenait les perches pour écarter les lignes je l’avertissais des récifs qui surgissaient de la houle et il qu’il évitait en mettant les gazs à fond. Puis comme chaque soir il fallu louvoyer à l’entrée du port et attendre la vague propice pour passer la barre sans se faire rouler en surfant sur la lame le moteur au maximum pour aller plus vite qu’elle. Avec Steve j’avais apris à connaître l’océan autrement qu’en jouant avec les vagues, et à le craindre. Ce n’était peut-être pas une expérience suffisante pour conduire un yacht, mais, avec un peu de chance. En me rappelant la bonne étoile qui m’avait permis de survivre à cette aventure mon optimisme reprenait le dessus en me disant que la mer peut être clémente pour qui sait l’aimer.
Et puis il y avait les Dory girls. Chaque année la flottille des Dorys allaient de port en port remontant la côte d’Oregon jusqu’à la frontières la frontière du Canada.C’étaient de fills de la campagnes monté à la ville pour une soitée dans le vieux bar sombre où on jouait au 8 balls sue le billard à poches avec le juke-box à tue-tête. Certaines étaient des filles de pêcheurs et des pêcheurs elles-même. C’était pour ces cow-boys solitaires de la mer la pêche ultime. Une Dory girl chaude au lit et qui ferait un bon puller capable de remonter les lignes de plus de cent kilos avec les girdies à main.