sexuelsEst-ce la procréation sacrée qui rend l’utilisation du corps pour le travail du du sexe plus condamnable que celui de la mine, des fonderies ou du bâtiment? Le travail des prostitué(e)s est plutôt physiquement moins dur que celui des ouvriers d’usine et certainement moins dangereux si l’on compare les statistiques d’accident du travail et de maladies professionnelles. Le travail du sexe serait-il plus contraint que les autres alors que peu de gens choisissent-ils pas librement le travail qu’il feront toute leur vie? Le tabou vient-il uniquement de la morale judéo-chrétienne sur le sexe ou simplement d’un jugement de la société sur la relation entre argent et organes génitaux? L’infirmière ou le proctologue sont aussi en contact avec des organes génitaux et cela ne pose pas de problème. Donc il s’agirait d’un jugement sur l’état d’esprit dans lequel se fait l’acte de prostitution? Une action avilissante car elle atteint la conscience intime celle qui réside dans notre cerveau. Le cerveau n’est il pas l’organe le plus intime de notre corps? Pourtant ne le laissons nous pas des années durant utiliser, transformer, chosifier contre de l’argent? Quant aux salauds qui exploitent les plus vulnérables ils y en a pas que dans la prostitution. C’est un problèmes grave qu’il faut combattre mais il n’y a pas de bonnes raisons pour faire un amalgame automatique avec le sexe
L’idée de la prostitution du cerveau est puissamment évocatrice, car elle transgresse l’image habituelle que l’on se fait de la prostitution : celle du corps. Ici, ce n’est plus la chair qui est vendue, exploitée ou offerte, mais l’organe le plus intime, le plus caché, le plus souverain : le cerveau, siège de la pensée, Le cerveau est l’ultime sanctuaire. Là où se forment les pensées inavouées, les intuitions fulgurantes, les révoltes muettes. C’est le cœur caché de notre liberté, ce que nul ne peut lire, sinon par nos mots, nos gestes, nos créations. Vendre son corps, aussi terrible soit l’acte, laisse souvent l’esprit intact. Mais vendre son cerveau, c’est permettre à l’autre d’habiter notre esprit, de le coloniser, de l’utiliser comme un outil. C’est là le vrai viol contemporain : celui de l’intériorité
Et pourtant, cette prostitution du cerveau est rarement imposée par la force. Elle est souvent désirée, recherchée, travestie en succès. On maquille la compromission en opportunité, la trahison en adaptation, le mensonge en storytelling. Plus grave encore : certains esprits s’y livrent sans même en avoir conscience, parce qu’ils ont été éduqués à penser rentable, à raisonner utile, à servir le pouvoir au lieu de le questionner. C’est une aliénation douce, insidieuse, où l’on ne sent même plus l’odeur de la vente. Si le corps est violable, le cerveau, lui, devrait être inviolable. Et pourtant, c’est lui qu’on vend le plus facilement. Que reste-t-il d’un homme ou d’une femme qui ne pense plus par lui-même ? Qui vend ses idées, ses rêves, sa mémoire comme on vendrait un gigot ?
Il reste un fantôme : un cerveau prostitué, usé par les usages des autres.
Faire ce qui ne se fait pas : demander de l’argent pour ce qui doit rester gratuit. La décision n’appartient pas à la femme adulte, le collectif impose ses lois. Les prostituées forment l’unique prolétariat dont la condition émeut autant la bourgeoisie. Au point que souvent des femmes qui n’ont jamais manqué de rien sont convaincues de cette évidence : ça ne doit pas être légalisé. Les types de travaux que les femmes non nanties exercent, les salaires misérables pour lesquels elles vendent leur temps n’intéressent personne. C’est leur lot de femmes nées pauvres, on s’y habitue sans problème. Dormir dehors à quarante ans n’est interdit par aucune législation. La clochardisation est une dégradation tolérable. Le travail en est une autre. Alors que, vendre du sexe, ça concerne tout le monde et les femmes « respectables » ont leur mot à dire. Depuis dix ans, ça m’est souvent arrivé d’être dans un beau salon, en compagnie de dames qui ont toujours été entretenues via le contrat marital, souvent des femmes divorcées qui avaient obtenu des pensions dignes de ce nom, et qui sans l’ombre d’un doute m’expliquent, à moi, que la prostitution est en soi une chose mauvaise pour les femmes. Elles savent intuitivement, que ce travail-là est plus dégradant qu’un autre. Intrinsèquement. Non pas : pratiqué dans des circonstances bien particulières, mais : en soi. L’affirmation est catégorique, rarement assortie de nuances, telles que « si les filles ne sont pas consentantes », ou « quand elles ne touchent pas un centime sur ce qu’elles font », ou « quand elles sont obligées d’aller travailler dehors aux périphéries des villes ». Qu’elles soient putes de luxe, occasionnelles, au trottoir, vieilles, jeunes, douées, dominatrices, tox ou mères de famille ne fait a priori aucune différence.
Despentes, Virginie. King Kong théorie. Grasset.