C’était l’été de 1970, Paris était une fête où des hippies ex-minets du drugstore découvraient le monde du cannabis. J’étais étudiant en histoire à La Sorbonne Paris 4, j’habitais chez ma petite amie Lucia Lyon au 36 rue de Passy, un appartement dont elle partageait le loyer avec deux étudiantes péruviennes. Lucia qui venait d’une famille de la meilleure bourgeoisie du Yorkshire avait été un temps au pair chez les de Vergie, une grande famille aristocratique descendant des Ducs de Bourgogne mais qui avait connu de meilleurs jours quand ils chassaient à courre sur les terres de leur château de Touffou en Anjou classé onzième de France. Des drames avaient décimé cette famille propriétaire de l’entreprise agro-alimentaire Olida et qui avait été si riche au début du siècle . La jeune Mme de Vergie s’était suicidée, et plus tard son beau-père Enguerand de Vergie, le patriarche de la famille avait fait confiance à la mauvaise personne et perdu sa fortune. Il avait du vendre le château qui lors de sa splendeur avait compté jusqu’à quarante domestiques, piqueux, maitre chiens, bourreliers, des écuries, des chenils et une orangeraie. L’acheteur fut le magnat de la publicité David Olgilvy qui laissa à Enguerand un relais de chasse ou il alla vivre accompagné d’Emile son fidèle chauffeur. Edouard, beau garçon de vingt ans était l’ainé des de Vergie. Il était le fiancé supposé de Nanni de Rothschild et très lancé dans une certaine société française encore très attachée aux traditions du siècle passé. Après la mort de sa mère et la ruine de sa famille il parti en Indes pour un voyage spirituel sans retour. Le deuxième fils, Fabrice qui n’avait que seize ans, devança l’appel et s’engagea dans la Marine Nationale pour se faire émanciper. Tous les deux en voulait à mort à leur père qui avait trompé leur mère avec la gouvernante provocant sa dépression.
Parmi les connaissances du réseau particule de Fabrice il y avait Inès de Bourbon-Parme. Une grande fille brune et rigolarde qui bouillait de sortir de la vie empesée que lui avait été imposée par son éducation. Elle rêvait comme nous tous d’aventures imaginaires dans les mers du sud dont nous parlions en fumant du Maazari-Sharif et en écoutant My Sweet Lord de Georges Harrisson. C’était la fin de l’année universitaire et mes parents n’avait pas de projets de vacances autre que d’aller en Gascogne dans la maison de grand-mère. J’avais fait savoir que je cherchais du travail et Inès un jour me dit « ma mère cherche quelqu’un de confiance pour s’occuper de sa bibliothèque ». Le lendemain elle me réveilla vers dix heures, pour me dire que sa mère m’attendait chez elle. C’était beaucoup trop tôt pour moi et il fut convenu de l’après midi. J’arrivais dans un grand appartement Haussmannien de la rue de Franqueville. Je fut introduit par une domestique asiatique furtive et silencieuse et je rencontrait dans son bureau son altesse la princesse Yolande de Bourbon-Parme née de Broglie.
J’avais mes cheveux bouclés en bataille et avec le velours vert de mon pantalon hippy et ne me sentais pas vraiment en adéquation avec la situation. Je lui dit que j’étais étudiant en histoire et cela parut lui suffire comme référence « J’aurais besoin que quelqu’un fasse l’inventaire de ma bibliothèque de Crespières, d’ouvrir tous les livres pour les faire sécher, de cirer toutes les reliures au saddle-soap et de signaler les ouvrages qui doivent être restaurés ». J’avais tellement fumé la veille que je planait encore et dans ce lieu si calme et si sombre j’écoutais sans dire un mot. « Je pourrais demander à des libraires de s’en occuper mais à chaque fois que je me suis adressé à des professionnels j’ai été volée ». Avant de partir elle me donna trois cent francs pour aller acheter le saddle-soap chez Hermès.
Je ne n’avait même pas demandé ce que je serai payé mais j’étais aux anges. Inès me dit plus tard que je serai payé « comme un bon secrétaire » et cela me convenait sans trop savoir combien. C’était le premier boulot intéressant et dans mes cordes et j’allais pour trois mois habiter seul dans la château de Crespières qui était un ancien relais de chasse de Louis XIV à une vingtaine de kilomètres du château de Versailles. Le couple de gardiens qui vivaient dans une petite maison à l’entré du parc du château devaient me fournir toutes les provisions de bouche et tout le bois à brûler dont j’aurais besoin pour entretenir un grand feu dans le cheminé monumentale du grand salon. Cette orgie de feu de bois m’avait spécialement été demandé par la princesse comme étant nécessaire pour sécher l’humidité de cette grande demeure inhabitée depuis des années.
Le château de Crespières était à mes yeux magnifique mais triste. Pourtant Fabrice l’avait qualifié de hideux mais nous n’avions pas les mêmes références. Placé dans un parc de quelques hectares entièrement clos de vieux murs de deux mètres avec devant le bâtiment principal un lac rectangulaire et une île boisée en son milieu. Le tout semblait à l’abandon. Je me mis au travail dès mon arrivé. La bibliothèque était moins imposante que je ne l’avait imaginée mais je m’aperçus vite que cela n’était qu’une impression due à la taille des pièces. Le gardien était un vieil homme qui me raconta la blessure de guerre qui l’avait empêché d’avoir des enfants. Tous les jours il amenait d’énormes fagots de bois et sa femme qui ne disait pas mot les plats qu’elle préparait pour eux mêmes.
Tout le jour je sortait les livres des rayons, je les ouvrait pour ventiler les pages et les dresser sur la tranche sur la grande table du salon face au feu. C’était principalement des livres d’histoires et je découvris qu’il s’agissait de la bibliothèque de Philippe de Fléchie qui avait été intendant pour le grand Roi soleil. Apparemment ces livres n’avait pas été ouverts depuis longtemps et je fus certain que la princesse n’avait aucune idée de ce qu’il y avait dans cette bibliothèque. Le soir j’arrêtais de cirer les reliures, je replaçais les livres qui étaient secs et en bon état et je recopiais dans un grand cahier à spirale le noms et l’état des ouvrages que j’avais ouverts. J’allais ensuite dans une cuisine digne d’un grand restaurant pour y faire mon repas et fumer un pétard. Ensuite je montais dans ma chambre à l’étage des domestiques et des enfants. J’y avais trouvé une collection de polars de la série noire. Les jours passaient et les livres s’amoncelaient sur les tables du salon. Un copain Jean-Marc et sa petite amie Marie Ange m’avaient rendu visite un week-end mais sinon je ne voyais personne à par le gardien de temps en temps. J’avais découvert sur la bibliothèque le mécanisme qui permettait de pivoter tout un pan d’étagères et qui donnait sur un escalier en colimaçon accédant à une cave voutée. Il y avait là encore des livres, des rouleaux et des cartes de généalogie. J’en avais été tout d’abord très excité pensant avoir découvert le passage secret vers le trésor mais rien de tel. J’interrogeais Ignace le gardien sur les éventuels passages souterrains du o. Il me dit qu’il y en avait un qui reliait Crespières au château Rothschilds à huit kilomètres de là mais qu’il avait été muré à cent mètres car trop dangereux. Je n’allait jamais vérifier cela mais je su dans le livres que ces passage avait été construit au moyen âge pour permettre aux signeur huguenots du château précédent de s’échapper quand nécessaire.
Un soir vers minuit alors que j’étais au lit avec un bon James Adley Chase j’eu une petite faim et je descendit dans la cuisine pour me faire un chocolat et des tartines. Dehors je pouvait entendre cancaner les oies que Marcel gardait dans le parc. C’était la pleine lune et elles étaient très bruyantes. En pyjama une tasse à la main j’allais donner un dernier coup d’œil au chantier de la bibliothèque et m’assurer que les braises de la cheminée étaient en sureté. Je parcourais pour la énième fois les rayons en évaluant ce qui me restait à faire et pris en main un livre que je n’avais pas remarqué auparavant. Sur la tranche de la reliure ancienne et patinée était marqué simplement « de la philosophie ». Le livre avait été entièrement écrit la main et les pages numérotées. Il comportait trois sections, chacune d’une écriture différentes et chaque section était datée à cent ans d’intervalle à partir de 1475. La première section portait sur la fabrication de la pierre philosophale, la deuxième était un traité de démonologie et la dernières des pages et d’éphémérides astrologiques alignés sur cinq colonnes.
A partir de ce moment des choses étranges commencèrent à se produire. Un jour vers la fin de mon séjour je failli tirer sur Inès venue un week-end avec une carabine que son frère Eric avait laissée chargé. Le coup parti alors que je relevais le canon de l’arme et alla transpercer la hotte en verre des fourneaux de la cuisine du chateau. Le vieux gardien Ignace me dit avoir laissé la balle exprès pour donner une leçon à ce galopin d’Eric. Une fois rentré chez mes parents qui étaient dans le sud on essaya avec Marc Renier et Jean-Marc Landau de faire les recettes décrites dans le livre pour fabriquer de l’or. Les prières qu’il fallait faire à chaque pas vers la pierre philosophale nous avait rebuté et on était passé à un truc de démonologie plus simple pour gagner au jeu à tout coup. On avait aussi vite laissé tomber car de toute façon on n’y croyait que mollement. Les drogues étaient de plus en plus présentes dans notre cercle d’amis. La cocaïne que personne n’avait essayé était auréolé d’un nuage de rock star était introuvable mais la blanche de Marseille était partout. Landeau avait trouvé un produit appelée perfectine qu’il prenait pour de la coke synthétique mais qui en fait était une méthédrine redoutable fabriqué en Allemagne et qu’on prenait pour de la cocaine. Lucia était partie dans sa famille et les jours qui suivirent fut un cauchemar de drogue et je prenais n’importe quel cachet pour compenser le speed. J’avais aménagé dans le bureau de l’avenue de l’Opera dont mon père avait conservé le bail alors qu’il était vide et j’y amenais le fameux livre que je cachais dans une armoire. La mère de Landeau me dit plus tard qu’il avait été interné tellement il perdait les pédales et qu’elle craignait pour sa raison.
J’étais moi aussi mal en point mais Lucia était revenue et bientôt on serait en aout et partir en vacances était la seule chose à faire. Parce qu’il était précieux je mis le livre dans mon bagage. Lucia avait rapporté dAngleterre une VW coccinelle orange avec le volant à droite et une vieille tente en canevas et gonflable et on décida d’aller camper à Biarritz. C’était un camping municipal principalement occupé par des surfeurs venus d’Australie, d’Hawaii ou de Californie. A l’époque ils étaient presque seuls dans l’eau avec un ou deux Français qui en était resté aux planches longues. Malgré ces vacances parfaites nous nous disputions de plus en plus souvent avec Lucia car bien que j’avais arrêté toute drogue j’étais mal dans ma tête. Sur le chemin du retour après avoir longtemps conduit dans la chaleur et la dispute je m’arrêtais pour prendre en stop deux hippies assez sales. Arrivé le soir ils nous invitent à dormir chez eux et l’impression étrange qu’ils me faisaient se confirma lorsque je les entendis parler de culte et de messe noire. Est-ce ma proximité avec ce livre occulte qui avait mis ces zozos sur mon chemin et fait que je m’étais arrêté ? De retour à Paris Lucia ne me supportant plus retourna dans son pays et moi ayant trouvé un billet de charter bon marché pour l’époque j‘allais partir pour Los Angeles. Le départ était à Londres et on devait aller chercher le billet dans l’appartement de Sterling Moss le coureur automobile ou était hébergée la fille qui vendait les billets. Je revoyais Lucia une dernière fois qui après une étreinte passionnée me dit qu’elle avait toujours voulu un enfant de moi mais que maintenant qu’elle était avec quelqu’un elle avait peur de tomber enceinte.
Trois ans plus tard je revenais en pleine santé avec des aventures plein la tête. Je voulais revoir les copain d’avant et j’allais chez un des frères Rovinski qui bien sur habitait chez une copine. Olivier buvait beaucoup mais son frère Dominique était devenu un vrai junkie. On sonna à la porte et j’allais ouvrir. Un instant je vis une tête de mort puis reconnue bien que le visage émacié d’Inès. Elle était avec Dominique et devenue une junkie à l’héroïne comme lui. Elle me dit qu’elle allait le lendemain à Londres car elle avait retrouvé la trace de son livre. Je ne lui avait jamais parlé du livre de la pierre philosophale et c’était surement Marc Régnier qui j’appris plus tard l’avait accompagné sur le sentiers de la drogue qui lui avait dit. Je quittais la soirée assez tôt car après la Californie cette ambiance junkie n’était plus du tout mon trip. Deux jours plus tard je repris contact avec Marc Régnier qui me dit avoir appelé chez Inès pour s’entendre dire par son père le Prince Michel qu’Inès était morte le lendemain de son arrivé à Londres et que c’était de sa faute à lui. Avait-elle retrouvé le livre. Je ne le su jamais.